L’astronomie et les mégalithes : une relation millénaire

Depuis mon adolescence, les alignements de Carnac et les dolmens épars dans nos campagnes exercent sur moi une fascination intacte. Ces géants de pierre, dressés par des mains humaines il y a des millénaires, semblent nous défier de percer leurs secrets. Parmi les questions qui tourbillonnent autour d’eux, une revient avec insistance : ces bâtisseurs du Néolithique levaient-ils les yeux vers le ciel avec la même interrogation que nous ? Les mégalithes étaient-ils de simples tombeaux, des marqueurs de territoire, ou bien des instruments complexes dialoguant avec les astres ? Plongeons ensemble dans l’univers captivant de l’archéoastronomie, à la découverte de cette relation millénaire entre la pierre et le cosmos.

Le ciel comme premier calendrier

Bien avant l’écriture, bien avant les calendriers que nous connaissons, le ciel était la grande horloge de l’humanité. Le Soleil rythmait les jours et les saisons, la Lune découpait les mois. Pour des sociétés agraires naissantes, comprendre ces cycles était vital. Savoir quand semer, quand récolter, quand anticiper les crues ou les sécheresses… L’observation attentive des mouvements célestes était sans doute l’une des premières sciences naturelles. Et comment mieux marquer ces observations, les transmettre, qu’en utilisant des repères pérennes, monumentaux ? C’est là que nos mégalithes entrent en scène. Certains chercheurs suggèrent même que les plus anciennes traces d’une telle pratique ne se trouvent pas en Europe, mais en Afrique, sur le site de Nabta Playa en Égypte, où un cercle de pierres datant peut-être de 7000 ans semble aligné sur le solstice d’été, annonciateur de la saison des pluies salvatrice. Une preuve fascinante que l’Afrique, berceau de l’humanité, pourrait aussi être celui de l’astronomie monumentale !

Des pierres orientées vers les astres ? Le débat passionnant de l’archéoastronomie

L’idée que les mégalithes soient orientés selon des phénomènes astronomiques n’est pas nouvelle. Déjà au XIXe siècle, des pionniers comme Félix Gaillard, dont l’ACEM s’attache aujourd’hui à réhabiliter l’œuvre, notaient des alignements récurrents, notamment à Carnac, avec le lever du soleil au solstice d’hiver. Plus tard, au XXe siècle, des figures comme Alexander Thom en Grande-Bretagne ont systématisé ces recherches, étudiant des centaines de sites et proposant même l’existence d’une unité de mesure standard, la fameuse « coudée mégalithique ». Ces travaux ont popularisé l’astronomie mégalithique, suggérant que des sites comme Stonehenge ou les alignements de Carnac étaient de véritables observatoires, capables de marquer solstices et équinoxes, voire de prédire des événements plus complexes.

Cependant, soyons honnêtes, cette vision a aussi ses détracteurs. La rigueur statistique de certaines études a été questionnée, la précision des mesures sur des sites souvent remaniés au fil des siècles est délicate, et l’idée d’une « coudée » unique utilisée pendant des millénaires sur des territoires aussi vastes laisse sceptique plus d’un archéologue. Les Gaulois, auteurs des mégalithes ? Certainement pas, nous savons aujourd’hui qu’ils sont bien antérieurs ! Mais étaient-ils pour autant tous des astronomes chevronnés alignant systématiquement leurs constructions sur le Soleil ? Des études plus récentes, comme celle menée par Monsieur Lavalette sur les sépultures de la façade atlantique, montrent une réalité plus nuancée. En analysant 151 tombes mégalithiques sur 2500 km de côtes, de l’Écosse au Portugal, il apparaît que seul un faible pourcentage (environ 17%) présente un alignement solsticial clair (Directions astronomiques canoniques des sépultures mégalithiques de Bretagne et de l’Europe atlantique – Persée). L’exemple de l’allée couverte de l’Île-Grande, qui ne s’aligne avec le coucher du soleil au solstice d’été que tardivement en août, illustre bien cette complexité (Orientation des sépultures mégalithiques). La prudence est donc de mise avant de généraliser.

Carnac, Wéris, et au-delà : des exemples qui interrogent

Malgré ces nuances, certains sites continuent de nous interpeller fortement. Comment ne pas être saisi par la majesté des alignements de Carnac ? Ces milliers de menhirs dressés il y a près de 7000 ans semblent dessiner des lignes pointant vers l’horizon, invitant à chercher des correspondances célestes (Découvrez les sites mégalithiques de Carnac). Des chercheurs comme Howard Crowhurst vont même jusqu’à proposer des liens géométriques et astronomiques entre Carnac et les sites égyptiens, basés sur des axes cardinaux et des angles précis (Menhirs et pyramides s’unissent au Solstice d’été). Une hypothèse audacieuse, certes, mais qui stimule la réflexion !

Ailleurs en Europe, d’autres sites intriguent. En Belgique, le site de Wéris (Wéris : dolmens et menhirs en Calestienne) présente des alignements potentiellement significatifs. La Pierre Haina, par exemple, semble marquer le coucher du soleil aux équinoxes vue depuis le dolmen principal, et le lever du soleil au solstice d’hiver depuis les menhirs d’Oppagne. La Maison des Mégalithes de Wéris propose même des balades explorant ces liens entre légendes, paysage et archéoastronomie. Ces orientations, associées à une certaine « religion » ou spiritualité des mégalithes (La religion des mégalithes à Wéris – Soirmag), suggèrent une intégration profonde des cycles célestes dans la vie et les croyances de ces populations.

Pourquoi scruter les étoiles depuis la terre ?

Mais alors, si tous les mégalithes ne sont pas des observatoires au sens strict, pourquoi tant d’entre eux semblent-ils néanmoins dialoguer avec le ciel ? Les fonctions étaient sans doute multiples et variaient selon les régions et les époques. Marquer les saisons pour l’agriculture est une hypothèse plausible et pragmatique. Organiser des rituels collectifs lors de moments astronomiques clés (solstices, équinoxes) en est une autre, renforçant la cohésion sociale et le lien avec le sacré. L’astronomie, comme l’a rappelé Yaël Nazé lors d’une conférence de la Société Astronomique de France (CR conf SAF Y Nazé archéoastronomie 15 mai 2024), a toujours eu cette double facette : scientifique pour comprendre le monde, et mythologique pour lui donner du sens. Les mégalithes pourraient être l’expression monumentale de cette dualité, ancrant les croyances et les savoirs dans le paysage, reliant le monde des vivants, celui des morts (beaucoup sont des sépultures) et le cosmos.

Un dialogue de pierre et d’étoiles qui perdure

Ce qui est certain, c’est que le phénomène mégalithique est d’une richesse et d’une diversité incroyables, s’étendant sur des millénaires et des continents (Les mégalithes dans le Monde – Hominides). Réduire ces monuments à une seule fonction, qu’elle soit astronomique ou autre, serait sans doute une erreur. Ils sont le reflet de sociétés complexes, avec leurs savoirs, leurs croyances, leur manière unique d’habiter le monde et de se penser dans l’univers. L’étude de leur lien potentiel avec l’astronomie, même si elle doit rester prudente et critique face aux interprétations hâtives, nous ouvre une fenêtre fascinante sur la pensée de nos lointains ancêtres. Elle nous rappelle que la contemplation du ciel étoilé est une aspiration humaine fondamentale et intemporelle. En visitant ces sites, en participant aux observations organisées par des passionnés, nous ne faisons pas que regarder des vieilles pierres ; nous renouons un dialogue silencieux, entamé il y a des milliers d’années, entre la Terre et les étoiles.